La crise COVID a fait des dégâts terribles dans notre société, tous les mécanismes de la société ont été mis en veille. En parallèle tous les clubs sportifs se sont vus stopper net dans leurs activités. C’est le cas pour le cyclisme alsacien qui sortait de sa saison de cyclo-cross et qui préparait la saison 2020 dans toutes les disciplines (Route, VTT, Piste, Enduro, BMX etc..). De nombreux clubs vont devoir se remobiliser et repartir avec de nouvelles règles. Alsa’sports a voulu savoir ce qu’il en était avec le cyclisme alsacien et comment les dirigeants de club pouvaient gérer cette crise et le retour aux activités courantes quand ce sera possible. Afin d’avoir un regard global sur la situation nous avons contacté Philippe Lambert. Président du Vélo Club Sainte Croix en Plaine, président FFC du comité départemental cycliste 68, et vice président FFC du grand Est. De par ses multiples casquettes, le dirigeant Haut-rhinois a un regard averti et expert sur les coulisses du cyclisme alsacien et son devenir. Il nous a livré sa vision des choses et s’est exprimé sans langue de bois.
Alsa’sports : Philippe Lambert, comment allez-vous ? Le virus ne vous a pas affecté ?
Philippe Lambert : Je vais bien, je suis resté confiné et n’ai fait que des déplacements pour des besoins alimentaires et de stricte nécessité. J’ai la chance de vivre dans la nature, cela a fortement rendu le confinement supportable.
Le confinement ne vous a-t-il pas trop pesé concernant la pratique du cyclisme ?
Philippe Lambert : C’est impossible que ça ne manque pas quand ça fait 45 ans qu’on pratique le cyclisme . A part des exercices sur Home trainer histoire de s’entretenir , j’ai beaucoup travaillé sur de multiples dossiers, pour le département et pour mon club toujours en communiquant avec mes amis du comité directeur mais aussi avec mes collègues du comité régional sinistré par la force des événements . J’ai beaucoup lu aussi . Mais c’est surtout en temps que président de club que j’ai été le plus frustré comme d’autres de mes collègues .A St Croix en PLaine , par exemple, nous avions pu finaliser la création d’un Team VTT de Club de division National et nous y avions consacré beaucoup d’énergie. Toute l’équipe attendait avec impatiente le début de saison . Le team avait été présenté officiellement à la presse peu de temps avant le confinement. Les jeunes sont passés de la réalisation d’un rêve mobilisateur au repli obligé du chacun chez soi. Il a été nécessaire de continuer à entretenir la flamme et leur proposer via leur entraîneur un programme d’entrainement à domicile sur home trainer et d’autres exercices physiques spécifiques . Avec les nouvelles mesures de desserrement nous avons déjà étudié et prévu des modes de retrouvailles en situation . C’est une première étape très attendue ceci d’autant plus que c’est un vrai groupe de copains. Ces jeunes issus du club avaient réalisé de belles performances en 2019, et il était donc important de leur permettre de continuer à évoluer ensemble , ce qu’ils souhaitaient, au sein d’une structure dédiée tournée vers l’accession progressive au haut niveau qu’ils ont tous eu l’occasion d’approcher l’an passé. Le retour de Frédéric Frech impliqué au sein de la structure et sa grande expérience du haut niveau renforce la motivation de ces garçons et des dirigeants . De même une équipe route junior/seniors avait été formée grâce au renfort de coureurs expérimentés avec une forte envie de vivre collectivement de nouvelles aventures. Nous restons déterminés même s’il est impossible de mesurer tous les effets secondaires de cette crise qui n’ont certainement pas fini de nous surprendre et de nous éprouver individuellement et collectivement, compétiteurs et bénévoles compris.
Après le déconfinement , comment s’effectuera la pratique du cyclisme en matière d’entrainement, n’y aura-t-il que des cyclistes solos sur les routes et pas de peloton ?
Philippe Lambert : c’est simple et complexe à la fois, il faudra que les cyclistes s’ajustent aux règles en vigueur et les respectent, cela demandera un effort d’adaptation et de la discipline. Globalement la règle des 10 mètre s’impose a tous. Notre chance est que le cyclisme est un sport d’extérieur donc aussi autorisé en club. Dès qu’il s’agira de sorties et/ou entraînements collectifs, la FFC a du et su proposer au ministère des modalités précises et différenciées prenant en compte les impératifs sanitaires réglementaires pour chacune des disciplines (VTT , Route , BMX ) du cyclisme afin que les clubs puissent reprendre les séances collectives et/ou dirigées dans le respect de la loi notamment celles concernant les enfants (Ecole de cyclisme route et/ou VTT , BMX) . Un travail conséquent et difficile, ceci d’autant plus que chaque discipline se décline en multiples modalités. Le VTT par exemple compte plusieurs spécialités qui ne s’exercent pas forcément sur les mêmes sites et dans les mêmes conditions : le cross, la descente ,le trial , le free style . Pour chacune de ces pratiques il a été nécessaire d’établir des fiches méthodologiques précises concernant le respect des règles barrières particulières même si certains aspects sont transversaux. Celles ci ont été validées par le ministère comme elles l’ont été pour la route, mais aussi pour le BMX et la piste pour peu qu’il s’agisse d’exercice sur des pistes ou stades non couverts . C’est une démarche obligée que s’est imposée à la FFC . Ces règles précises seront confirmées par un décret d’application imminent et s’imposeront pour toute reprise au sein des clubs qui devront s’y conformer. Pour bien faire, les vététistes et routiers en petits groupes devront s’entrainer sur des circuits définis et connus de tous afin de ne pas se perdre et de continuer à faire un travail d’entrainement constructif et progressif. Pour les plus jeunes le nombre d’ateliers se trouvera démultiplié, ce qui nécessitera plus d’encadrants bénévoles . Les trouvera-t-on ?? D’une manière générale seront-ils prêts à reprendre du service ? Il s’agit de bénévoles N’oublions pas que l’essentiel des dirigeants de tout niveau agissent au sein des associations en tant « qu’engagé volontaire » au service des autres et ceci dans une société ou l’individualisme est triomphant. De ce point de vue y aura-il une modification de cette donnée sociétale contemporaine dans l’après crise, période qui ne sera pas une sinécure pour chacun d’entre nous. Je n’ai pour ma part pas de réponse à cette interrogation.
Qu’en sera-t-il des activités enfants ?
Philippe Lambert: Certainement les clubs auront des approches diverses et devront faire preuve d’inventivité, mais toujours dans le respect des prescriptions. On peut considérer que le VTT, le cyclisme sur piste, et le BMX (en lieux non couverts) auront moins de difficultés à s’adapter aux injonctions préconisées y compris pour les plus jeunes qui piaffent d’impatiente. Sur la route, il ne faudra pas être en peloton ça c’est sûr ! L’imagination et l’expérience des encadrants des clubs feront peut- être naître paradoxalement de nouvelles manières de vivre ensemble et en lien même à distance dans notre passion commune. Pour les activités enfants il faudra également beaucoup de compréhension vis à vis des parents et beaucoup de communication des dirigeants pour rassurer et expliquer le déroulement des séances et la manière dont nous intégrerons les correctifs à appliquer. Peut-être ce nouveau contexte de clarification nécessaire renforcera t-il lune collaboration et une implication plus forte des parents aux activités. Ce qui par rebond peut aussi motiver les moniteurs.
Est-ce que les dates de compétitions qui ont été annulées sont replacées ultérieurement ou définitivement supprimées ? Cela risque de créer un embouteillage d’organisations sur une deuxième partie de saison, et elles vont se faire concurrence ?
Philippe Lambert : Un nouveau calendrier est à l’étude avec les clubs qui auront encore la volonté d’organiser. On devrait y voir plus clair mi juin . Dans tous les cas, les organisations route et VTT vont empiéter sur celles de cyclo-cross en automne. Dans cette spécialité un championnat Grand EST est déjà prévu pour le 4 janvier. Sans doute clôturera-t-il cette saison tronquée.
Les effets de la crise COVID sont également financiers pour les budgets de clubs. Les partenariats avec des sociétés privées vont être affectés. Comment voyez-vous l’avenir des clubs et surtout des petits clubs avec peu de licenciés ?
Philippe Lambert : Là, il y a de grandes incertitudes, les budgets des clubs seront certainement pénalisés c’est une évidence. Les entreprises auront elles aussi des priorités et nous n’y figurerons pas tant qu’elles ne seront pas assurées d’une reprise de leur activité . Je m’inquiète moins du coté des subventions émanant des collectivités locales. Au niveau financier les effets ou les dégâts seront plus directement ressentis et donc évaluables plus finement à partir de 2021 et c’est au terme de la prochaine saison qu’on verra ce que devient le cyclisme de club et le cyclisme de compétition , y compris en termes d’organisation d’épreuves qui représentent un coût élevé pour les petites et moyennes structures qui sont largement majoritaires et constituant notre vivier . C’est en 2022 que l’on pourra donc se faire une idée plus précise de l’état du sport fédéral. Une certitude , nous sommes à un tournant excessivement difficile à négocier et le précipice n’est pas loin . La mutualisation inter -clubs de projets avec des moyens nécessaires partagés sera -t-elle plus pratiquée ?? Ce serait un changement de paradigme, porteur d’espoir et une manière de rester visible en termes d’événements sportifs et de formation pour les jeunes. Il faut savoir que la FFC va être très gravement affaiblie financièrement alors qu’elle commençait juste à être plus sereine de ce point de vue et qu’un nouveau modèle économique prenait forme . La crise a accéléré la mise en évidence de problématiques déjà existantes telle que la décrue du nombre des licenciés dans certaines tranches d’âge , notamment celle des 19/34 ans . Ce qui n’est pas anodin .
Ne va t’on pas vers ‘’ la mort’’ des « petites courses » ?
Philippe Lambert : Un nouveau calendrier régional de circonstance est déjà en construction sur la période d’aout à janvier. C’est un gros travail avec un certain nombre d’incertitudes .Mais ce sont bien les courses de proximité qui auront valeur d’élan pour la reprise. Pour moi ce sont ces micros événements à l’échelle départementale qui dans ce contexte totalement inédit sont à privilégier. Nous réfléchissons au niveau du comité départemental à des aides concrètes à apporter aux clubs organisateurs durant la période ou les compétitions seront autorisées . Cela concernera la route ,le VTT , la piste et le cyclo -cross discipline hivernale. Ce sera une sorte de panachée disciplinaire concentrée sur un temps court . Chacun fera ses choix quant aux épreuves et la discipline qu’il privilégiera durant cette période de relance . L’important est de renouer avec la compétition dans des épreuves de proximité . Pour les compétiteurs la seule perspective des retrouvailles constitue en elle même le principal bénéfice attendu au delà de la recherche de résultat et des classements. Remettre un dossard dans le dos c’est retrouver un univers et des sensations particulières que procure rouler ensemble en peloton même si c’est aussi les uns contre les autres . C’est en cela que la course cycliste vécue de l’intérieur est une expérience fascinante et reste un sport très dur pour ne pas dire spartiate quelque soit l’évolution du matériel et celle des espaces (publics ou privés) et/ ou circuits proposés aux compétiteurs.
Alsa’sports : Est-ce que le cyclisme en club se pratiquera autrement grâce à d’autres approches ou la compétition ne sera plus le point d’orgue ou la seule finalité ?
Philippe Lambert : Après cette pause imprévue de toute activité de club , l’après covid doit nous permettre de poser un nouveau regard sur le sport cycliste associatif. Il est urgent que les clubs repensent leur offre de service aux pratiquants du vélo de plus en plus nombreux mais qui fuient le sport Fédéré . La compétition dans les disciplines traditionnelles du cyclisme reste le noyau dur mais compte au final peu d’adeptes . En France il y a 3,6 millions de personnes qui pratiquent le cyclisme très régulièrement et sportivement et de plus en plus parmi les plus de 40 ans . La FFC, c’est à peine 115 000 licenciés et leur nombre stagne depuis de nombreuses années . Il était même à la baisse depuis la fusion en grande région . Il y a là pour les clubs et notre Fédération une donnée qui oblige à une remise en question largement amorcée avant la pandémie . Dans le cas contraire on est mal barré. Il nous faut replacer au cœur de nos dispositifs les valeurs associatives. L’évolution des pratiques et de nombreuses études nous montrent que « l’axe utilité sociale » des clubs est à mettre en avant. De ce point de vue le cyclisme par sa nature même est un outil privilégié et se prête parfaitement aux nouvelles manières de « faire sport » de nos contemporains. Exemple: Sport Santé, Sport Famille. Encore faut-il vouloir et pouvoir aussi développer des compétences d’animation et pas seulement se focalise focaliser sur l’entrainement , ses contraintes et ses exercices spécifiques au profit des plus engagés dans la compétition . La mutualisation inter -clubs de projets définis en commun et des moyens humains et matériels liés , en direction de publics variés et hétérogènes s’avérera sans doute nécessaire pour favoriser le développement du cyclisme au sein des clubs . Sera -t-elle plus considérée et expérimentée au sortir de cette crise ? Sera-t-elle ressentie comme une opportunité ou une arme supplémentaire pour la survie du sport cycliste fédéral qui par définition reste un sport individuel ? L’avenir nous le dira. Un premier pas a été fait avec la signature d’une nouvelle convention FFC /FSGT au niveau des clubs Alsaciens fixant de larges assouplissements en vue de courses mixtes ouvertes aux licenciés des deux fédérations ceci dans l’intérêt même des pratiquants qui doit être notre absolue priorité bien au delà des querelles de chapelles d’un autre âge.
Merci à Philippe Lambert de nous avoir livrées ses impressions sur l’avenir de ce cyclisme alsacien qui s’est vu fortement chahuté par cette crise comme beaucoup de sports. Visiblement, le cyclisme alsacien a de la ressource et a la force de se remettre en question. Les clubs ne s’avouent pas vaincus et trouveront des réponses en leur sein .On pourrait épiloguer et débattre longtemps. Il est certain qu’il faudra de la patience pour les clubs alsaciens afin de savoir si ils tiennent la route ou si il faudra se résoudre pour certains à abandonner. La crise semble réveiller les pratiques de partage et d’entraide , de sacrifice aussi il en va de même pour les club sportifs : Sur le plan de l’éthique sportive, on se demande si cette crise n’est pas un mal pour un bien. Affaire à suivre !
Propos recueillis par Marc Holder